DIY : une vraie philosophie de vie
ou un marché rentable ?

Dans les années 1970, la conjoncture économique a permis aux entreprises de développer le secteur du Do It Yourself, qui se traduit en français par « faites le vous-même ». Pour ce faire, les grandes marques n’ont pas hésité à détourner la philosophie de vie originale du DIY à leurs profits et aux dépens de leurs adeptes. 

1 – La découverte du « pot aux roses »

1.1 – L’esprit récup’ passé à la trappe

Du tissu à 200 euros le mètre. Je ne vous parle pas d’une somptueuse dentelle comme celle que j’utilise pour confectionner mes costumes pour le carnaval de Venise mais juste du prix du tissu pour faire du patchwork.

Petite, j’avais vu ma grand-mère réaliser de jolies créations avec cette technique. Un jour, j’ai eu envie de m’y mettre. Me voilà donc partie pour acheter mes tissus dans une petite boutique spécialisée du centre-ville.

La décoration à l’anglaise, les meubles de style cottage, la présentation et le rangement des tissus, tout y était très chic. J’étais comme envoûtée par l’ambiance jusqu’à ce que je découvre le coût de revient exorbitant des fournitures. Il me fallait compter plus de 500 euros, juste pour les tissus. J’étais choquée !

Autant vous dire que mon envie est retombée comme un soufflet raté. J’ai quitté la boutique sans rien acheter bien décidée à reprendre la bonne vieille méthode de ma grand -mère : la récup’.

Quelques mois plus tard, je découvre par hasard sur le web, la publication d’une dame qui parlait fièrement de sa couverture en « granny » qu’elle venait de crocheter.

Curieuse de découvrir cette nouvelle technique, je clique sur son lien et là, je découvre une photo de la même couverture que celle que ma grand-mère faisait en carré au crochet pour utiliser ses restes de laine.  Cette technique était revenue du passé, avec un joli nom. Une seule différence, ces dames achetaient toutes leurs laines.

2 - La philosophie du Do It Yourself (le faire soi-même) détournée à des fins de profit :

2.1 – La naissance des magasins de loisirs créatifs :

J’ai fait partie des personnes qui se sont réjouies de voir arriver les grands magasins de loisirs créatifs. J’appréciais de pouvoir y aller choisir toutes mes petites fournitures pour créer mes bijoux fantaisies. A l’époque, je ne faisais pas attention au prix des perles que j’achetais à la pièce.

On parlait du Do It Yourself, du DIY pour faire plus court, comme d’un mouvement très tendance.

Cette nouvelle mode proposait de nombreuses activités. Et, pour chacune : ses produits, ses outils et son matériel, le tout présentait dans de jolis packagings. Le marché s’est très vite développé en offrant une large gamme de possibilités :

  • Des livres pour apprendre les différentes techniques
  • Des kits avec tout le matériel pour faire soi -même
  • De la vente à la pièce,
  • Et même, des ateliers en réunion, chez les particuliers, pour vendre directement les produits de la marque.

2.2 – Une filière économique rentable :

C’est la création du temps libre devenu « temps des loisirs » et l’arrivée de la société de consommation en France, dans les années 1970, qui ont ouvert la voie au développement du marché du DIY. Ces deux facteurs offraient une conjoncture économique idéale. 

Les entreprises avaient bien compris que le faire soi-même représentait une véritable manne financière. Plusieurs grandes marques se sont alors emparées de cet univers en proposant des produits faciles à utiliser, des outils miniaturisés pour les rendre plus maniables et beaucoup de modèles en kit.

3. Une stratégie commerciale bien ficelée

3.1 – Ils ont pensé à tout :

Leur marketing commercial a été simple et efficace. Ils ont collé à la représentation mentale positive que l’on se faisait du faire soi-même et ont repris, à leur avantage, ses principales valeurs :

  • Libérer son imagination et développer sa créativité
  • Donner de la valeur à ce qu’on fait
  • Faire un geste pour l’écologie

Le faire soi-même pour économiser n’était plus qu’un mythe. L’achat des fournitures revient plus cher que d’acheter l’objet fini mais ils mettent toujours en avant le plaisir. Il existe encore des techniques créatives économes mais certainement pas dans le monde commercial du Do It Yourself.

 

 

Leurs produits ont simplifié les activités aux dépens de la créativité. Leurs adeptes sont dans la réalisation plus que dans la création. Ils suivent des modèles, ils n’inventent pas, ils recopient. Ce sont des activités manuelles plus que des activités créatives.

Ils n’ont rien inventé juste repris les anciennes techniques qu’ils ont « modernisées ». Leur marketing est intelligent, orienté vers le dépoussiérage, la modernité, le renouveau avec une pointe d’affectif. Ils ont su toucher leur cible en plein cœur.

Depuis quelques années, leur marché a aussi pu profiter de la multiplication des blogs personnels, et des tutoriels vidéo sur le DIY qui participent à leur amener toujours plus d’adeptes.

En 2018, rien que pour la France, le chiffre d’affaires du secteur du Do It Yourself représentait 1 250 millions d’euros.

3.2 - Une cible sensible à leur message flatteur :

Dès son lancement, le marché du DIY a choisi de s’adresser à une clientèle jeune et, essentiellement, féminine. Elles étaient plus faciles à convaincre puisqu’elles ne connaissaient pas la philosophie originale du Do It Yourself.

Le concept leur proposait de prendre le contre-pied du monde du « tout fait » qu’elles avaient l’habitude de consommer en les invitant en plus à retrouver le plaisir et la fierté du faire soi-même, et le bon vieux savoir-faire de leurs grands-mères.

Sur le site de Marie Claire Idées, un article en parle : « Enquête sur la génération Do It Yourself » et dans l’introduction, on peut lire : « Trentenaires, bien dans leurs baskets et douées de leurs dix doigts, elles se sont réappropriées le savoir-faire de nos grand-mères qu’elles remettent à leur sauce ». C’est un bel exemple de leur stratégie de communication : ils les flattent pour mieux les séduire.

Le tricot, le crochet, et la broderie retrouvent la une des magazines. On ne compte plus le nombre d’articles qui vantent les bienfaits et le plaisir du faire soi-même.

Le concept invite à relâcher la pression, à retrouver la sensation du plaisir de faire soi-même, à revenir à des valeurs d’authenticité.

4 – Quel devenir pour la philosophie du DIY ?

4.1 - Un bon point pour le Do It Yourself :

Les acteurs économiques de ce marché ont su profiter de la confusion créée par la traduction, en français, de ce concept au nom anglosaxon pour profiter de l’image positive du faire soi-même, celui que l’on connaît depuis toujours. Alors qu’en y regardant de plus près plusieurs aspects essentiels les opposent.

Le faire soi-même avait comme motivation première, celle de faire des économies, pas le DIY. Le faire soi-même a longtemps été une logique de survie ou de nécessité, pas le DIY. Ce concept tel qu’il a été marketé n’offre qu’une seule vision : celle du loisir et du plaisir.

Toutefois, ils ont su créer un réel engouement pour les activités manuelles auprès des jeunes femmes notamment. Beaucoup d’entre elles se sont remises à la pratique de ce genre activités oubliées depuis plus d’une génération.

Les plus créatives ont même développé des petites boutiques où elles proposent leurs créations à la vente. Les groupes de passionnés se multiplient sur les réseaux sociaux et créent du lien entre passionnées.

On ne peut, donc, que se réjouir de ce succès d’autant qu’il contribue à redonner une belle image des activités manuelles et créatives, si longtemps mal considérées, en France.  Cette mise en lumière leur redonne de la valeur, du sens et de l’authenticité.

 

4.2 – Les nobles intentions du faire soi-même abandonnées :

Par contre, je regrette que leur concept du DIY est réussi à nous faire oublier l’essentiel : l’essence de la créativité, la vraie, la pure et la dure. Celle qui nous apprend à faire avec ce que l’on a sous la main en trouvant tes propres solutions.

Pour que leur marché soit rentable, ils ont dû dénaturer les techniques ancestrales pour les rendre lucratives en évinçant l’esprit récup’ du jeu. Ils défendent leurs intérêts et la recherche de bénéfices.

L’expérience que j’ai connu avec le patchwork en est justement le meilleur exemple. Cette technique avait été inventé, courant XVIII -ème siècle, pour recycler des fragments de tissus encore bons, récupérés sur les vieux habits avant de les jeter dans le but était d’éviter le gaspillage.

Dans les années 1970, les couturières françaises découvrent cette technique dans sa « version de luxe ». La vente de beaux tissus très chers s’est substituée à l’esprit original de la récup.

Vous me direz : « C’est le jeu ma pauv’ Lucette ! », il faut bien qu’ils gagnent leur vie, c’est même leur tout premier objectif : la rentabilité.

L’ironie de l’histoire c’est que la philosophie de vie originale du DIY contre le consumérisme avait été initié par les mouvements Hippie et Punk, dans les années 60 – 70 en réaction à l’échec économique, politique et social des 30 glorieuses, et au final, cette belle philosophie a fini par se faire rattraper par la société de consommation qu’elle fuyait tant.

5 – Transmettre le bon message :

Depuis toute jeune, je n’ai qu’une philosophie celle de la débrouille et de l’économie qui m’a été transmise par ma famille, et plus particulièrement par ma grand-mère maternelle.

Petite fille, elle m’a appris qu’il ne fallait pas gaspiller le tissu. Elle-même récupérait des chutes de tissus dans les poubelles d’une usine de confection et grâce à la technique du patchwork, elle transformait ces petits bouts de tissus en pochettes ou en tabliers. Je l’ai souvent accompagné et plus de 40 ans plus tard, je me rappelle encore des émotions que ses « chasses aux trésors » provoquaient chez moi.

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.Je sais qu’elle m’a transmis des valeurs que je n’aurais jamais appris autrement.

Aujourd’hui, en tant que créatrice textile, j’aime toutes les techniques à base de récup’ : le Crazy quilt, le Boro, les appliqués, le mixed média textile. J’adore recycler les vieux jeans pour en faire un sac ou un tablier c’est toujours un exercice très créatif. Et, c’est d’ailleurs, cette philosophie que je partage sur ma chaîne Youtube : apprendre au maximum à faire avec ce qu’on a.

En dehors de la couture, j’aime aussi donner une seconde vie aux objets, et aux meubles. J’ai vécu quelques belles histoires en sauvant des objets destinés à la déchetterie. J’ai pris le temps de leur redonner une fière allure. Aujourd’hui, ils font partie de ma vie et j’ai une réelle affection pour eux et pour leur histoire. 

Alors si j’avais un seul message à faire passer, je vous dirais que :

« Si nous voulons que le monde change,
Il faut le faire soi-même ! »

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